La Dernière Porte

Béarn avait la tête qui tournait. Il ne comprenait pas très bien ce qu'il venait de se passer. Il se trouvait à présent sur ce qui semblait être un morceau de roc qui flottait… dans le néant. Il n'y avait strictement rien autour de lui sauf à quelques mètres devant, au bout de la pointe de terre, une gigantesque porte en bois rouge, renforcée par de grands gonds d'un métal noir et entouré par un arche de pierre sur lequel était gravé des motifs étranges. Curieusement, la porte semblait ne mener nulle part, ou plutôt, elle menait dans le vide qui entourait cette mystérieuse île flottante. Comment était-il arrivé ici ? Il ne se souvenait plus. Les seuls souvenirs qui lui restaient étaient une image de flammes et un sentiment désagréable de brûlure. Il décida d'avancer vers la porte. Il commença à l'observer, la tête jetée par en arrière tellement elle était grande. Soudain, une voix le fît sursauter. Il fit volte-face et, là où il ne se trouvait rien une seconde au par avant, se tenait une svelte femme, il n'aurait pu dire si elle était jeune ou vieille, vêtue d'une jupe et d'un corsage noir avec de longues manches. Elle avait de long cheveux argents qui descendait jusqu'au sol et sur ses épaules, de courtes ailes en plumes de corbeau; il n'aurait pu dire si elles étaient qu'un apparat ou de véritables ailes. Sur sa main était perché un corbeau qui, la tête rentrée dans son pelage, croissait de temps à autre. Ses yeux reflétaient une profondeur infinie. Lorsqu'elle s'adressa à lui, elle avait une douce voix, ni triste, ni joyeuse, ou peut-être était-ce les deux à la fois.

-  Bienvenue à toi, Béarn Écudragon, lui dit-elle.

-  Comment connaissez-vous… qui êtes vous? Où sommes-nous? Et que fais-je ici?, répondit Béarn, qui était assailli par plusieurs questions à la fois.

La femme lui répondit lentement et calmement à chacune de ses questions, et même à celles qu'il n'avait pas encore formulées.

-  Je connais tout ce qu'il y a à savoir sur les morts – Béarn tressailli. Oui, Béarn Écudragon, tu es mort. Je suis la Douanière des Âmes, d'autres me nomment la Faucheuse. Je suis Shélana. Nous sommes dans un endroit qui se situe entre le monde matériel et les autres mondes. Tu as été tué. Brûlé vif sur un bûcher par les Fanatiques Rouges, ajouta-t-elle froidement.

-  Mort? Demanda Béarn, incrédule. Puis il réalisa toute l'invraisemblance de toute cette scène et il comprit qu'il ne pouvait en être autrement. Et qu'arrive-t-il maintenant?

-  Tous les morts arrivent devant la Dernière Porte. Elle s'ouvrira sur le monde dans lequel ton esprit passera le reste de l'éternité. La Porte peut s'ouvrir sur différents mondes, mais pour chaque personne, elle s'ouvre sur l'endroit désigné par les actions accomplies sur le monde. Si tu as été bon et juste, elle s'ouvrira sur un monde de justice et de bonté. Si tu étais un rebelle, un monde de chaos te sera désigné. Et si tu as été un homme cruel et sadique, ce sera sans doutes vers les Neufs Enfers que ton âme échouera. Chacun, se présentant devant moi, a la possibilité de franchir la porte ou non. Il y a toujours de la place pour le repentir… mais il y a toujours moyen d'empirer les choses. Toi, Béarn Écudragon, a accompli des faits valeureux, a aidé beaucoup de gens et t'es battu contre les forces des ténèbres. Tu t'es même sacrifié pour la cause que tu trouvais juste. La Porte s'ouvrira donc pour toi sur l'un des sept paradis de Céleste.

-  Mais vous avez parlé d'avoir le choix de ne pas franchir la porte. Qu'arrive-t-il alors lorsqu'on ne franchit pas la porte?

-  Dans ce cas, ton âme est envoyée dans les plans éthérés jusqu'à ce qu'on décide de ressusciter ton corps. Alors ton âme et ton corps se joignent de nouveau pour continuer le périple sur le monde. Mais saches que ceux qui ont la chance de voir s'ouvrir pour eux la Dernière Porte qui les conduira vers un monde où leur âme vivra ses meilleurs moments pour le reste de l'éternité, risquent toujours de perdre cette opportunité lorsqu'ils retournent sur le monde matériel.

Béarn réfléchit un long moment. S'il passait cette porte, il ne reverrait jamais ses amis, il ne remettrait plus jamais le pied sur ce monde pour lequel il s'était tant battu. Il ne pourrait jamais se venger de la mort que ces traîtres lui avaient infligée. Et il laissait derrière lui son royaume qui était plus que jamais en grand danger, assaillit par des créatures maléfiques dont tous ignoraient l'identité. Qu'allait-il arriver s'il revenait sur le monde ? N'allait-il pas faire face au même problème? Personne ne le croirait que les Fanatiques Rouges étaient des traîtres et non pas des fidèles de Éorm comme il le prétendait. Qu'était-il arrivé à Saint Albert, le grand prêtre d'Éorm de Roolar ? Avait-il lui aussi péri sous le feu du bûcher ? Si c'était le cas, il pourrait errer dans les plans éthérés pour le reste de l'éternité puisque personne d'autre détenait la foi suffisante pour le ramener à la vie. C'était là un choix atrocement difficile et sans doutes le choix le plus important de sa vie, à proprement parler, qu'il avait eu à faire. Puis il s'arrêta net. Les Sept Paradis Célestes… c'était là un monde de bien et de loi où tout était parfait. Mais plus que tout, c'était là que résidait Éorm, son Saint Patron. Aurait-il la chance de rencontrer son dieu en personne ? Ce serait le plus grand des honneurs !

- Oui, il sera là, répondit Shélana, comme si elle venait de lire dans ses pensées. Il ne sera pas là que pour vous accueillir, mais bien pour vous féliciter. Il vous demandera sans doutes même de le servir encore comme l'un de ses anges.

Béarn en avait le souffle coupé. Cet unique privilège était assez pour le convaincre. Il y aura toujours des forces maléfiques à combattre et chaque fois, il y aura des héros qui s'élèveront de la lumière pour les vaincre. Oui, il avait bien accompli sa mission en ce monde. Il avait créé l'Ordre des Paladins de l'Union, le seul ordre de paladins de ce monde où il avait fait réunir sous la même bannière les plus grands défenseurs du bien et de la loi. Il avait transformé le monde de ses mains afin de le rendre un endroit meilleur pour chacun. Non, il ne pouvait rien faire de plus.

-  Shélana, Douanière des Âmes, ouvrez-moi la Dernière Porte, dit Béarn avec assurance.

-  Vous avez fait le meilleur des choix, Béarn Écudragon. Que l'éternité bienveillante vous soit accordée.

Béarn franchit la porte, une grande fierté au cœur et avec assurance.

La porte se referma derrière lui.

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